50px

Le droit au logement des Montréalaises: on y travaille, et vous? 

25px
Bloc main.blocs.custom-contents

Trouver un logement adéquat en pleine crise

Image d'une maison avec des points d'interrogationLa crise du logement n’est pas terminée. Surtout, elle continue d’affecter les Montréalaises, dont les besoins et problèmes de logement ont augmenté avec la pandémie. Ces enjeux concernent :

  • la pénurie de logements abordables et les hausses de loyers;
  • les nombreux préjugés qui alimentent la discrimination et la concurrence en contexte locatif;
  • les logements trop petits et insalubres qui mettent en péril la santé et la sécurité des femmes;
  • le manque de logements accessibles et adaptables, qui nuit à l’autonomie de celles qui ont un handicap;
  • la hausse des reprises et évictions ainsi que les difficultés à faire valoir ses droits;
  • le harcèlement de la part des propriétaires et du voisinage, qui menace la sécurité résidentielle.

Traverse-t-on une crise du logement à Montréal?

La pandémie de COVID-19 a transformé nos vies, notre quotidien et notre rapport au logement. Depuis, l’accès à un logement adéquat est essentiel pour se confiner et rester en santé, mais aussi pour étudier ou travailler à distance. À l’heure actuelle, cet accès n’est pas équitablement réparti, notamment en raison de la crise du logement. Généralement, on dit qu’il y a crise du logement quand le taux d’inoccupation des logements locatifs passe sous la barre des 3 %. Les locataires ont alors plus de difficulté à trouver un logement qui correspond à leurs besoins.

L’inoccupation des logements locatifs

Selon certaines personnes élues, il n’y a pas de crise du logement, car 3,2 % des logements étaient inoccupés dans la région de Montréal en 2020 (figure 1).

Durant la pandémie, de nombreux logements se sont libérés suivant l'enseignement à distance, le télétravail et l’impossibilité de la location touristique. Ainsi, certains logements affichent des taux d’inoccupation plus élevés (SCHL 2020) :

  • Studios (5,1 %) et logements à une seule chambre (3,4 %)
  • Logements situés dans l’arrondissement Ville-Marie (10,2 %)
  • Logements dont le loyer est supérieur à 1 000 $ (6,7 %)

 

Par opposition, les taux d’inoccupation demeurent très bas dans d’autres catégories (SCHL 2020) :

  • Logements situés à Montréal-Nord (0,6 %), Ahuntsic-Cartierville (1,2 %) et Pointe-aux-Trembles—Montréal-Est (1,9 %)
  • Logements familiaux (plus de trois chambres) situés à Rosemont—La Petite-Patrie (0 %), Montréal-Nord (0,1 %), Mercier (0,2 %), Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension (0,2 %) et Sainte-Geneviève—Senneville (1,2 %)
  • Logements dont le loyer est de moins de 600 $ (1 %)
Les nouvelles constructions: une solution pour résoudre la pénurie?

Fait intéressant, voire encourageant : en 2020, une majorité de nouveaux logements (51 %) étaient destinés à la location (figure 2). De plus, une part croissante des condominiums sont mis en location. En 2020, 21 % des condos étaient occupés par des locataires (SCHL 2020).

Graphique représentant l'évolution des mises en chantier à Montréal de 2002 à 2020. En 2002, les nouveaux logements sont majorité logements destinés à des propriétaires. Cette proportion augmente autour des années 2010. En 2020, la majorité des nouveaux logements sont destinés aux locataires.

Plusieurs bémols doivent néanmoins être soulignés. Les nouvelles constructions se concentrent dans certains secteurs et sont essentiellement portées par le secteur privé. À preuve, on observe un ralentissement des mises en chantier de logements en coopérative et d’OSBL d’habitation (CMM 2019).

Ces nouveaux logements ne règlent pas la pénurie de logements locatifs abordables. Comme l’illustre la figure 4, les loyers correspondants sont bien plus élevés : si le loyer moyen des logements locatifs à Montréal est de 893 $, il s’élève à 1 395 $ pour ceux construits depuis 2005 et à 1 588 $ pour les copropriétés en location (SCHL 2020).

Le figure illustre le coût moyen des logements locatifs. La moyenne globale s'établit à 893$, celles des logements construits depuis 2005 à 1395$ et les copropriétés en location à 1588$.

 

Nous vivons bel et bien une crise du logement locatif abordable

Cette crise est particulièrement aiguë dans certains secteurs et pour les familles. Les logements disponibles ne correspondent pas aux capacités financières de nombreux ménages locataires. Résultat : 128 ménages montréalais étaient sans logement le 1er juillet 2021, sans compter toutes les personnes qui continuent d’habiter ou qui ont emménagé dans des logements inadéquats par peur de se retrouver à la rue (FRAPRU 2021).

Mais qu’est-ce au juste qu’un logement adéquat? D’abord, un logement adéquat compte plus de quatre murs et un toit. Ici, les gouvernements s’entendent généralement sur trois autres critères :

  1. Abordabilité : moins de 30 % du revenu est alloué aux dépenses liées à l’habitation (loyer, chauffage, etc.)
  2. Qualité : aucun besoin de réparations majeures (plancher, murs, toit, plomberie, système électrique, etc.)
  3. Taille : nombre de chambres adéquat selon la taille du ménage

Un ménage éprouve des besoins impérieux si l’un de ces critères n’est pas respecté et si le revenu du ménage est insuffisant pour lui permettre d’emménager dans un logement adéquat dans la même région. Sur l’île de Montréal, 117 115 ménages (13 % de l’ensemble des ménages) éprouvent des besoins impérieux en matière de logement (CMM 2021). Cette situation touche plus fréquemment certaines populations région métropolitaine de Montréal (SCHL 2021):

  • 21,7 % des ménages locataires contre 3,9 % des ménages propriétaires
  • 23,5 % des familles monoparentales dirigées par une femme contre 5,2 % des familles biparentales
  • 37,5 % des femmes seules de plus de 65 ans contre 23 % des ménages d’une seule personne
  • 25,5 % des ménages dont au moins une personne a des limitations d’activités contre 12,5 % des autres ménages
  • 24,9 % des ménages issus de l’immigration récente (2011-2016), 21,5 % des personnes résidentes non permanentes et 17,4 % des ménages issus de l’immigration contre 13,2 % des non-immigrant·es
  • 21 % des ménages autochtones contre 14,9 % des ménages allochtones

 

La notion de besoins impérieux néglige toutefois plusieurs aspects d’un logement adéquat. Les Nations Unies proposent sept critères essentiels pour assurer le droit au logement (ONU Habitat 2005) :

  1. Sécurité d’occupation : absence de menaces, d’éviction, de harcèlement, d’expropriation, etc.
  2. Accès aux services, au matériel, aux installations et aux infrastructures : électricité, eau potable, gestion des ordures, etc.
  3. Abordabilité : coûts liés à l’habitation ne doivent pas nuire autres droits fondamentaux comme l’alimentation, l’éducation et la santé
  4. Habitabilité : taille suffisante et absence de problèmes d’insalubrité, de chauffage, d’isolation ou d’un besoin de réparation
  5. Accessibilité : possibilité de circuler sans obstacle et d’adapter le logement aux limitations
  6. Emplacement : proximité des commerces, services et pôles d’emploi
  7. Milieu de vie respectueux : permet l’expression de l’identité culturelle et est exempt de violence

Les atteintes au droit au logement des Montréalaises

Les femmes qui fréquentent les groupes sondés expriment des besoins et des problèmes de logement touchant l’ensemble de ces critères. La quasi-totalité (95 %) des groupes répondants constate une hausse du nombre de demandes d’aide depuis le début de la pandémie.

Abordabilité

Image de tire-lire

D’après notre questionnaire, 89 % des groupes estiment que, depuis la pandémie, les Montréalaises éprouvent plus de difficulté à trouver un logement abordable. Cela s’explique d’abord par les écarts de revenus qui persistent : le revenu médian des femmes représente 82 % de celui des hommes (Statistique Canada 2021). Cet écart risque de se creuser avec la pandémie, les femmes étant davantage affectées par les pertes d’emploi, en particulier si elles travaillent à temps partiel ou dans le secteur des services (ex. : restauration, hôtellerie, commerces). De plus, la reprise a été plus lente dans les emplois à bas salaire traditionnellement féminins et occupés par des personnes racisées (Bastien, Morel, et Torres 2020).

Nous observons une féminisation intersectionnelle de la pauvreté. Autrement dit, certaines femmes sont davantage précarisées que d’autres. Elles subissent plus fréquemment de la discrimination et font face à plus d’obstacles dans leur vie quotidienne, par exemple parce qu’elles sont cheffes d’une famille monoparentale, issues de l’immigration, de la diversité sexuelle, en situation de handicap ou racisées (Celis, TGFM, et COSSL 2020). Ces obstacles affectent, entre autres, l’accès aux études, à l’emploi et, par conséquent, à un revenu suffisant pour se loger.

Parallèlement, nous observons une hausse du loyer moyen. À Montréal, cette augmentation était de 4,6 % entre 2019 et 2020 (SCHL 2020), chiffre bien plus élevé que l’inflation (2,3 %) (Ville de Montréal 2021) et que les indices proposés par le Tribunal administratif du logement, ou TAL (1,2 % pour un logement non chauffé) (TAL 2020). Ces hausses sont plus marquées dans certains quartiers en plein processus de gentrification. Dans le Sud-Ouest et dans Verdun, par exemple, le loyer moyen est passé de 808 $ à 924 $. Comme l’illustre la figure 4, le coût des loyers augmente plus rapidement que le revenu moyen des Montréalaises.

La figure illustre l'évolution du revenu moyen des Montréalaises avec le loyer moyen entre 2001 et 2020. Les courbes du graphique illustrent que le loyer augmente plus rapidement que le revenu.

Il est de plus en plus difficile de trouver un logement abordable pour les femmes à faible revenu. Actuellement, les logements inoccupés ont des loyers 36 % plus élevés que la moyenne (1 202 $ contre 883 $). Ces écarts sont particulièrement marqués dans certains secteurs comme le Sud-Ouest et Verdun, qui ont des loyers 74 % plus élevés (1 574 $ contre 905 $) (SCHL 2020). Plusieurs quartiers montréalais ont une bonne offre de transports collectifs, de commerces et de services de proximité, mais la plupart sont en pleine gentrification, et donc de moins en moins abordables. De plus, la vie sociale, économique et culturelle de ces quartiers se transforme, si bien que les ménages perdent également leurs repères (Projet de Cartographie Anti-éviction de Parc-Extension 2020). À cet effet, 38 % des groupes sondés notent que les Montréalaises éprouvent plus de difficultés à trouver un logement près des services depuis la pandémie. Elles sont souvent contraintes de déménager vers des quartiers périphériques mal desservis, ce qui nuit à leur santé et à leur bien-être. Elles y vivent entre autres de l’isolement, de l’insécurité alimentaire et de la fatigue liée aux déplacements plus longs.

Image d'une femme qui regarde une maison chère alors qu'elle a un faible revenu.

De nombreuses Montréalaises sont contraintes de se tourner vers des logements inabordables ou acceptent des augmentations de loyer par crainte d’être incapables de louer ailleurs. L’habitation est généralement la plus grande dépense des ménages. L’inabordabilité d’un logement a d’importantes répercussions sur la précarité économique, notamment chez les femmes autochtones, en situation de handicap, aînées, de la diversité sexuelle, issues de l’immigration ou monoparentales qui sont plus susceptibles d’avoir de faibles revenus. De plus, celles qui sont monoparentales disposent d'un seul revenu pour loger leur famille. Les ménages lesbiens sont doublement pénalisés par les inégalités salariales (Fontaine, Antoine, et Vaillancourt 2021) du fait que leurs couples sont souvent composés de deux femmes et que leurs salaires sont inférieurs à ceux des hommes, mais également à ceux des femmes hétérosexuelles. De ces faits, elles s’endettent et restreignent leurs autres dépenses comme le transport, l’alimentation, l’éducation, les vêtements, les médicaments et les loisirs. À long terme, cette précarité crée une insécurité, elles sont à une nouvelle dépense ou une perte de revenu près d’être en défaut de paiement.

Discrimination et concurrence pour la location

Actuellement, les propriétaires sont plus sélectifs, ce qui alimente la discrimination. D’après notre questionnaire, 55 % des groupes indiquent que les Montréalaises font face à davantage de discrimination à la location depuis la pandémie. Ainsi, le défi est de taille pour celles dont le revenu est faible ou à qui il manque une bonne cote de crédit, une preuve d’emploi stable ou une bonne référence.

Image illustrant que le propriétaire accorde le logement à la femme blanche. Les autres femmes marchent à sens inverse, l'une d'elle est d'origine asiatique, une est plus âgée et en fauteuil roulant et l'autre porte un foulard et est racisée.

Selon les groupes consultés, ces situations sont particulièrement fréquentes chez les femmes nouvelles arrivantes, récemment sorties d’un établissement (ex. : centre de détention ou centre jeunesse), cheffes de familles monoparentales, à statut précaire, en situation de handicap, de la diversité sexuelle, fuyant un contexte de violence conjugale ou qui sont travailleuses du sexe.

« La criminalisation du travail du sexe rend nos revenus illégaux et nous empêche souvent d’avoir un dossier de crédit ou des preuves de revenus à présenter. Cela nous rend inadmissibles aux logements subventionnés. Si nous recevons l’aide sociale, nous pouvons avoir accès au logement, mais en vivant dans la peur constante de poursuites pour récupérer cette aide et des impôts. » (Stella, l’amie de Maimie)

« Nous accompagnons des femmes qui vivent des conséquences et des impacts de la violence conjugale ou familiale, elles se heurtent souvent à des systèmes d’oppression. Certaines femmes vivent de la violence économique et ont par conséquent un très mauvais crédit, le temps d’attente pour un HLM est long et trouver un logement avec un mauvais crédit peut être très complexe. Même chose pour les femmes qui sont fichées à la Régie du logement suite à la violence de leur conjoint ou qui ont une mauvaise référence de leur ancien propriétaire. » (Maison Dalauze)

« Les femmes avec lesquelles nous travaillons sortent de prison. C’est pour elles un obstacle de plus pour trouver un logement convenable ou souscrire une assurance logement notamment en raison des préjugés qu’elles peuvent vivre.  L’accessibilité à des logements abordables est un enjeu de société urgent. Tout le monde a droit au logement » (Société Elizabeth Fry du Québec)

Cette discrimination est alimentée par un ensemble de préjugés concernant, par exemple, la monoparentalité, l’aide sociale, le handicap, les demandeuses d’asile, la lesbophobie et la violence conjugale (Savard 2018; Conseil des Montréalaises 2019). Pour se loger adéquatement, certaines sont contraintes de mentir sur leur situation :

« Il est très difficile pour les femmes de se trouver un logement abordable, salubre et sécuritaire. Elles vivent énormément de discrimination à cause de leur revenu, de leur composition familiale, parce qu’elles sont victimes de violence, lorsqu’elles sont immigrantes, lorsqu’elles sont racisées, etc. Cela les amène à devoir choisir ce qu’elles partagent de leur réalité aux potentiels propriétaires. Leur transparence leur amène plus souvent de la discrimination que de l’empathie. » (Le Parados)

« L’homophobie est encore bien présente dans notre société, tout comme le sexisme. Les femmes de la diversité sexuelle vivent une phobie qui combine ces deux systèmes, c’est-à-dire la lesbophobie. Afin de minimiser certains impacts de ces phobies et avoir accès à un logement adéquat, plusieurs vont mentir sur leur situation conjugale afin de ne pas être discriminées ou être victimes de violences. Pour nous, cela démontre un recul important, car certaines femmes de la diversité sexuelles doivent se cacher afin d’assurer leur protection. » (Réseau des lesbiennes du Québec)

Logements trop petits et insalubres

D’après notre questionnaire, 42 % des groupes indiquent que les Montréalaises ont plus de difficulté à trouver un logement de taille suffisante depuis la pandémie. Comme nous l’indiquions plus haut, très peu de grands logements sont disponibles, particulièrement dans certains secteurs. Or, habiter un logement trop petit en période de confinement et de couvre-feu est particulièrement exigeant et peut intensifier les conflits ainsi que les situations de harcèlement et de violence au sein des ménages et du voisinage.

Image illustrant une mères cheffe d'une famille monoparentale avec un enfant et une poussette. Elle cherche un logement pour elle et sa famille.

Par ailleurs, 38 % des groupes consultés indiquent que les demandes d’intervention pour des situations d’insalubrité chez les Montréalaises ont augmenté avec la pandémie. Le confinement expose davantage ces ménages à la moisissure et à la vermine, ce qui affecte leur santé physique (ex. : asthme, maladies respiratoires) et mentale (ex. : anxiété, hypervigilance, isolement, dépression). En outre, plusieurs femmes craignent d’aborder ces problèmes avec leur propriétaire par peur d’être évincées ou de subir une hausse de loyer, ou parce qu’elles ont déjà subi du harcèlement sexuel (Frederic Hountondji 2021). Notons que moins de la moitié des groupes de femmes sondés (41 %) ont indiqué bien connaître les recours en matière de droit du logement. Quand le besoin se présente, ces groupes renvoient souvent les femmes au comité logement de leur quartier.

Logements inaccessibles et inadaptables

Le quart des groupes sondés indiquent que les Montréalaises ont plus de difficultés à trouver un logement accessible ou adaptable ou à y faire des travaux d’adaptation avec la pandémie. Il faut d’ailleurs savoir que la crise du logement est quasi permanente pour les personnes en situation de handicap. Nous ne savons pas combien de logements sont accessibles ou adaptables à Montréal. La majorité des unités de logement social et communautaire sur le territoire montréalais sont accessibles ou adaptables pour une personne vivant avec des limitations sur le plan de la mobilité (56,8 %) (Ville de Montréal et CMM 2016). Toutefois, ces logements sont pour la plupart dédiés aux personnes aînées ou sont petits, ce qui pose problème pour les locataires ayant besoin de plus d’espace pour circuler, ou qui habitent avec leur famille ou une personne proche aidante (Conseil des Montréalaises 2019).

Image d'une femme en fauteuil roulant devant un bâtiment comportant des marches et aucune rampe d'accès.

Sur le marché privé, bien peu de logements sont accessibles et adaptables. L’une des raisons est que la majorité des logements ont été construits avant 1980 (71 %). Souvent, ces logements ne peuvent être adaptés. Ils tendent également à être plus sombres, ce qui crée des défis et des obstacles quotidiens pour les femmes aveugles, malvoyantes ou sourdes. Le manque d’insonorisation touche particulièrement les femmes aveugles, vivant ou ayant un enfant avec un trouble sur le spectre de l’autisme (Conseil des Montréalaises 2019).

Le fait que les nouveaux logements sont soumis à de nouvelles exigences en matière d’adaptation devrait permettre de résoudre cette pénurie de logements (RBQ 2021). Toutefois, ces normes sont encore insuffisantes, par exemple, puisqu'elles se basent sur l'accessibilité avec un fauteuil mécanique. Surtout, ces nouveaux logements sont souvent trop coûteux pour les femmes en situation de handicap qui sont plus susceptibles de faire partie d’un ménage sous le seuil du faible revenu (OPHQ 2021). Pour cette raison, elles ont plus fréquemment besoin d’un logement subventionné pour se loger adéquatement.

Le manque d’adaptation pose des obstacles quotidiens qui affectent leurs capacités à prendre soin d’elles-mêmes, de leurs enfants et de leur logement. Cela peut se traduire par de l’insalubrité ou de l’encombrement et mener à une éviction ou encore à un signalement à la protection de la jeunesse (Conseil des Montréalaises 2019). Le manque de logements accessibles et adaptables fait en sorte que certaines femmes sont contraintes d’aller vivre en centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) ou en résidence privée pour personnes aînées (Conseil des Montréalaises 2019).

Évictions, menaces et reprises de logement

Bien que le Tribunal administratif du logement (TAL, anciennement la Régie du logement) ait suspendu les évictions pendant la première vague de la pandémie, celles-ci ont repris depuis juillet 2020. D’après notre questionnaire, 53 % des groupes indiquent que les Montréalaises font plus fréquemment face à des menaces, évictions, comportements de harcèlement et reprises de logement avec la pandémie. Ce constat provient surtout des comités logement, qui voient une hausse des demandes d’aide en lien avec les évictions et les reprises de logement (Projet de Cartographie Anti-éviction de Parc-Extension 2020), mais également de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM 2020b).

Image d'une main qui montre la porte.

Ces enjeux découlent de quelques phénomènes qui forcent les ménages locataires à quitter leur logement. Montréal a connu une vague de conversion de logements locatifs en copropriétés indivises. Entre 2011 et 2019, près de 4 000 logements locatifs ont été convertis en copropriétés, principalement dans les quartiers centraux (SCHL 2021). Surtout, les reprises de logement et les évictions visant à réaliser des travaux majeurs (rénovictions) sont de plus en plus courantes. Ces déménagements forcés sont particulièrement difficiles pour les femmes aînées, en situation de handicap ou issues de l’immigration. Elles voient leur réseau de soutien (amitiés, famille, soins à domicile, organismes communautaires, commerces de proximité, etc.) complètement déstabilisé (Projet de Cartographie Anti-éviction de Parc-Extension 2020; Conseil des Montréalaises 2019).

Le comité logement de La Petite-Patrie a enquêté sur 363 avis de reprise ou d’évictions pour rénovation majeure. Parmi ceux-ci, 85 % des propriétaires qui évinçaient leurs locataires utilisaient des stratagèmes frauduleux et malveillants pour contourner le droit au maintien dans les lieux (CLPP 2020). Ces manœuvres s’accompagnent parfois de harcèlement :

« De nombreuses femmes sont victimes de harcèlement de la part de propriétaires qui cherchent à leur faire signer une résiliation de bail. Souvent, elles ne connaissent pas leurs droits et signent sous pression. Cela peut parfois prendre des tournures de chantage sexuel lorsqu'il s'agit de faire des réparations dans le logement ou même de négocier un loyer, par exemple. » (POPIR comité logement)

Bien qu’il soit possible de contester ces évictions, les comités logement constatent que peu de dossiers obtiennent gain de cause (Projet de Cartographie Anti-éviction de Parc-Extension 2020). De plus, les organisations sondées constatent que de nombreuses femmes peinent à recourir au système juridique pour faire valoir leurs droits. Cela est dû, entre autres, à une faible connaissance du droit du logement, à la complexité des procédures, aux frais associés, à la barrière linguistique et à la fatigue qu’entraîne le fait de devoir défendre ses droits à répétition.

Harcèlement et violences

Depuis plusieurs années le Centre d'éducation et d'action des femmes (CÉAF) met en lumière les agressions sexuelles vécues par les locataires et chambreuses. Elles constatent le tabou et le silence entourant ces violences qui prennent place dans les logements sociaux, communautaires et privés (CEAF 2021). D’après notre questionnaire, 53 % des groupes notent que les Montréalaises ont plus de difficultés à trouver un milieu de vie respectueux depuis la pandémie.

Image d'une femme recroquevillée sous les insultes et les menaces physiques.

De nombreuses femmes monoparentales, racisées, travailleuses du sexe et en situation de handicap témoignent avoir vécu du harcèlement de la part de propriétaires ou de voisin·es. La crise du logement combinée à la crise sanitaire enferme certaines femmes dans ces situations de harcèlement :

« Le travail du sexe étant un acte criminel depuis 2014, les travailleuses du sexe peuvent être évincées si nos proprios savent que nous travaillons de la maison. Ces évictions peuvent être formelles devant la Régie ou informelles et inclure des menaces, de l’extorsion ou de la violence. » (Stella, l’amie de Maimie)

« Les violences semblent être plus fréquentes. Les milieux de vie sont plus tendus. Certains propriétaires ont plus de temps libres et veulent en profiter pour faire des travaux, mais les femmes ne veulent pas, par crainte de contracter le virus. Les ventes d’immeubles ont augmenté dans certains secteurs : visites, harcèlement et évictions illégales sont au rendez-vous. » (Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec)

De surcroit, il est particulièrement difficile pour les femmes de la diversité sexuelle aînées de trouver un milieu de vie respectueux. En plus de vivre une précarité économique, elles sont plus susceptibles de vieillir dans l'isolement et la marginalisation. Elles ont moins de soutien de leur famille puisqu'elles sont nombreuses à ne pas avoir d'enfants et d'avoir rompu les liens avec leurs frères et sœurs qui n'ont pas accepté leur orientation sexuelle. Surtout, les résidences, OSBL et autres milieux de vie pour personnes aînées constituent des lieux hétéronormatifs où la LGBTphobie demeure répandue. Celles-ci craignent de dévoiler leur orientation sexuelle ou de recevoir leur amoureuse ou leur « famille choisie » de peur d'être stigmatisées, d'être mal desservies par le réseau de la santé et des services sociaux et de subir des micro-agressions au quotidien par la suite. Pour se protéger, elles retournent dans le placard (Projet LoReLi 2021).

« Les personnes ainées issues de nos communautés se sont battues pour avoir une égalité juridique et maintenant elles doivent retourner au placard parce qu’elles font face à de la discrimination ou de la violence liée à leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Sincèrement, c’est très triste de constater que l’égalité de fait est loin d’être atteinte pour nos communautés, et ce, même si beaucoup de chemin a été fait. » (Réseau des lesbiennes du Québec)

Quels sont les engagements des gouvernements face à la crise du logement?

Les municipalités québécoises se sont engagées à soutenir les ménages à la recherche de logement. Depuis 2005, l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) reçoit un budget de la Ville pour offrir un service de référencement et d’accompagnement (Ville de Montréal 2021b). En 2021, plus de 180 ménages en difficulté ont ainsi été accompagnés. De plus, la Ville offre de l’hébergement temporaire ainsi qu’une aide pour l’entreposage et le déménagement.

Face à la crise du logement, le gouvernement provincial a établi un programme de supplément au loyer (PSL) d’urgence. Celui-ci assouplit les critères pour accéder à cette subvention permettant aux ménages à faible revenu de ne débourser que 25 % de leur revenu pour leur loyer. À titre d’exemple, les personnes sans statut victimes de violence conjugale y sont admissibles alors qu’elles sont en général exclues du PSL régulier (SHQ 2021). Il reste cependant difficile d’utiliser le PSL, car peu de logements disponibles sont admissibles, soit en raison de leur loyer trop élevé, soit par refus des propriétaires ou soit méconnaissance des modalités du programme d’urgence par les Offices municipaux. Grâce à une entente de 1,1 milliard de dollars conclue avec le gouvernement fédéral, le programme Allocation-logement (PAL) a été bonifié. Le PAL offre une aide financière aux ménages à faible revenu pouvant aller jusqu’à 80 $ par mois (MAMH 2021).

Certains arrondissements montréalais ont adopté des règlements pour protéger le parc locatif. Huit arrondissements ont adopté des règlements pour régir la subdivision et la réduction du nombre de logements, manœuvres fréquentes dans les cas de rénovictions. Ces règlements ont été contestés par les propriétaires, qui ont exercé d’importantes pressions pour en réduire l’application dans certains secteurs (CORPIQ 2020).

Un ensemble d’arrondissements encadre les locations touristiques (ex. : Airbnb) en restreignant les secteurs ou en exigeant un permis. Toutefois, d’autres mesures devraient être envisagées pour préserver les logements locatifs abordables. En effet, la demande de logements augmentera de nouveau avec l’assouplissement des mesures sanitaires, qui favorise le tourisme et permet le retour en classe et au bureau.

Le programme d’adaptation de domicile (PAD) permet d’adapter les logements. Ce programme a eu d’importantes failles par le passé (délais, coûts admissibles insuffisants, critères d’admissibilité, refus du propriétaire, etc.) (Conseil des Montréalaises 2019). Grâce à l’obtention du statut de métropole, la Ville de Montréal a pu développer son propre programme adapté aux particularités régionales. Le PAD Montréal, lancé en avril 2020, augmente le montant de la subvention maximale (de 16 000 $ à 35 000 $) et laisse à la personne en situation de handicap plus de latitude sur le choix des adaptations à réaliser. Le nouveau programme élargit l’accès à l’ensemble des personnes en situation de handicap, et ce, quel que soit leur statut migratoire (Ville de Montréal 2020).

Références

Bastien, Thomas, Anne-Marie Morel, et Sandy Torres. 2020. « Impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé et la qualité de vie des femmes au Québec ». Association pour la santé publique du Québec. https://www.aspq.org/app/uploads/2020/12/rapport_femmes-et-covid_impact_de_la_covid_sur_la_sante_et_qualite_de_vie_des-femmes_au_quebec.pdf.

CEAF. 2021. « Femmes et logement ». Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal. 2021. https://www.ceaf-montreal.qc.ca/public/femmes-et-logement.html.

Celis, Leila, TGFM, et COSSL. 2020. « Groupes communautaires et femmes en situation de pauvreté à Montréal: besoins, pratiques et enjeux intersectionnels ». https://www.tgfm.org/nos-publications/66.

CLPP. 2020. « Entre fraude et spéculation: enquête sur les reprises et évictions de logement ». Comité logement de la Petite Patrie. https://comitelogementpetitepatrie.org/wp-content/uploads/2020/12/Entre-fraude-et-spe%CC%81culation-2020.pdf.

CMM. 2019. « Pénurie de logements locatifs et ralentissement de la construction de logements sociaux et abordables ». Perspective grand Montréal: un bulletin de l’observatoire grand Montréal, Communauté métropolitaine de Montréal, juin 2019. https://cmm.qc.ca/wp-content/uploads/2019/06/39_Perspective.pdf.

———. 2021. « Grand Montréal en statistiques ». Communauté métropolitaine de Montréal. 2021. http://observatoire.cmm.qc.ca/index.php?id=1048&no_cache=1&no_cache=1.

Conseil des Montréalaises. 2019. « Se loger à Montréal: Avis sur la discrimination des femmes en situation de handicap et le logement ». https://bit.ly/3xounFw.

CORPIQ. 2020. « Droit de propriété : victoire symbolique de la CORPIQ contre la Ville de Montréal ». Corporation des Propriétaires Immobiliers du Québec. 17 décembre 2020. https://bit.ly/3FNlB75.

Fontaine, Eugénie, Julie Antoine, et Julie Vaillancourt. 2021. « Enquête 2020: portrait des femmes de la diversité sexuelle au Québec ». Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ). https://bit.ly/3l9PIh0.

FRAPRU. 2021. « Bilan du 1er juillet : le FRAPRU exige des mesures structurantes pour sortir de la crise ». Front d’action populaire en réaménagement urbain. 2 juillet 2021. https://www.frapru.qc.ca/bilan1juillet2021/.

Frederic Hountondji. 2021. « La Marie Debout dénonce l’insalubrité des logements dans MHM ». Journal le Métro. 19 février 2021. https://bit.ly/3DOFRol.

MAMH. 2021. « Près de 1,5 milliard de dollars pour le logement abordable au Québec ». Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. 13 août 2021. https://bit.ly/3DYvKxh.

OMHM. 2020. « Rapport annuel 2019 ». Office municipal d’habitation de Montréal. https://www.omhm.qc.ca/fr/publications/rapport-annuel-2019.

ONU Habitat. 2005. « Le droit à un logement convenable ». Fiche d’information no 21. Nations Unies, Haut commissariat aux droits de l’Homme. https://www.ohchr.org/Documents/Publications/FS21_rev_1_Housing_fr.pdf.

OPHQ. 2021. « Les femmes avec incapacité au Québec, un portrait statistique de leurs conditions de vie et de leur participation sociale ». Office des personnes handicapées du Québec. https://bit.ly/3nQLpJm.

Projet de Cartographie Anti-éviction de Parc-Extension. 2020. « MIL façons de se faire évincer : L’Université de Montréal et la gentrification à Parc-Extension ». https://antievictionmontreal.org/fr/2020-report-the-university-of-montreal-and-gentrification-in-park-extension/.

Projet LoReLi. 2021. « Pour contrer la pauvreté et l’insécurité des femmes marginalisées et de leurs familles : un soutien adéquat au logement social et abordable ». Présenté à mémoire déposé au ministre des Finances du Québec dans le cadre des consultations prébudgétaires 2021-2022, janvier. https://bit.ly/3raTKJS.

RBQ. 2021. « L’accessibilité aux bâtiments pour les personnes handicapées ». Régie du bâtiment du Québec. 2021. https://bit.ly/3104PCw.

Savard, Andrée. 2018. « Les projets d’habitation pour femmes monoparentales : Des initiatives structurantes à consolider et à développer pour contribuer à l’autonomie des femmes ». Comité consultatif Femmes en développement de la main-d’œuvre. https://ccfemme.files.wordpress.com/2018/08/ccf-avis_meres-monoparentales-et-projets-dhabitation_mars-2018.pdf.

SCHL. 2020. « Enquête sur les logements locatifs : Montréal ». Société canadienne d’hypothèque et de logement. https://bit.ly/3I4Ersu.

———. 2021. « Le marché sous la loupe: RMR de Montréal ». Société canadienne d’hypothèque et de logement. https://bit.ly/3FR7NZ8.

SHQ. 2021. « Modalités administratives 2021-2022 : Programme de supplément au loyer d’urgence et de subvention aux municipalités Volet 1 – Supplément au loyer ». Société d’habitation du Québec. https://bit.ly/32tlOxT.

Statistique Canada. 2021. « Revenu des particuliers selon le groupe d’âge, le sexe et la source de revenu, Canada, provinces et certaines régions métropolitaines de recensement ». Tableau 11-10-0239-01. https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1110023901.

TAL. 2020. « Le calcul de l’augmentation des loyers en 2020 ». Tribunal administratif du logement. 22 janvier 2020. https://www.tal.gouv.qc.ca/fr/actualites/le-calcul-de-l-augmentation-des-loyers-en-2020.

Ville de Montréal. 2016. « Portrait des logements accessibles et adaptés dans le parc de logements sociaux et communautaires de l’agglomération de Montréal ». https://bit.ly/3HTVdub.

———. 2020. « Programme d’adaptation de domicile pour personnes en situation de handicap - Un programme bonifié et mieux adapté aux besoins montréalais ». Cabinet de la mairesse et du comité exécutif. 20 février 2020. https://bit.ly/3cR6EEx.

———. 2021. « Période de renouvellement des baux - La Ville de Montréal rappelle certaines règles de protection aux locataires ». 2 mars 2021. https://bit.ly/3cQf536.

50px